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tions de la vie quotidienne se réduisent pour eux à se demander si l’exercice de manœuvre a marché vite, si le loch a été filé à l’heure, si le ris de chasse a été bien pris le soir. Chacun, dans ce tout si minutieusement combiné, se borne à jouer son rôle spécial et toujours pareil ; il est le générateur de force physique qu’il faut à tel ou tel point précis, le ressort vivant qui raidit telle corde et jamais telle autre ; il est aussi la main qui chaque jour, à l’instant fixé, nettoie et fait reluire telle poulie de bois ou telle boucle de fer ; il accomplit automatiquement la série d’actes que d’autres avant lui — des inconnus qui portaient le même numéro — accomplissaient aux mêmes moments et aux mêmes places. Et dans cette abnégation absolue de leur libre arbitre, la vie saine et fortifiante qu’ils mènent leur épaissit les muscles, leur donne la gaieté de surface et le bon rire, — les fait tout à coup s’endormir du plus tranquille sommeil, n’importe où ils se couchent et à des heures quelconques de la nuit ou du jour, dès que les sifflets aigus de