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et les cris exaspérés d’un soir de carnaval m’arrivaient confus du boulevard.

Assez étrange et même inquiétante à la longue, en y réfléchissant, cette veillée solitaire d’une forme masquée affalée dans un fauteuil, dans le clair obscur de ce rez-de-chaussée encombrés de bibelots, assourdi de tentures avec, dans les miroirs pendus aux murailles, la flamme haute d’une lampe à pétrole et le vacillement de deux longues bougies très blanches, sveltes, comme funéraires ; et de Jakels n’arrivait pas. Les cris des masques éclatant au loin aggravaient encore l’hostilité du silence, les deux bougies brûlaient si droites qu’un énervement finissait par me prendre et, soudain effaré devant ces trois lumières, je me levai pour aller en souffler une.

En ce moment, une des portières s’écartait et de Jakels entra.

De Jakels ? Je n’avais entendu ni sonner ni ouvrir. Comment s’était —il introduit dans mon appartement ? J’y ai songé souvent depuis ; enfin de Jakels était là devant moi ; de Jakels ? C’est-à-dire un long domino, une grande forme sombre voilée et masquée comme moi : «  Vous êtes prêt, interrogeait sa voix que je ne reconnus pas, ma voiture est là, nous allons partir.  »

Sa voiture, je ne l’avais entendue ni rouler ni s’arrêter devant mes fenêtres. Dans quel cauchemar, dans quelle ombre et dans quel mystère avais-