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molle de ses cheveux devenus couleur de lune dans l’ombre lumineuse de cette nuit d’été ! Je sentais toute la chaleur de son sang affluer sous mes lèvres et, toute frissonnante dans sa claire batiste, elle se serrait, se blottissait, s’appuyait contre moi de toute sa force, comme si elle eût voulu imprimer dans mon cœur l’éternel souvenir de ces heures heureuses ; et le fait est que cette nuit là, elle me l’a bien entrée au cœur, la menteuse… Jamais, vois-tu, je ne pourrais oublier. »

Je regardais Serge s’exalter ; une sorte de béatitude détendait et transfigurait ce visage tout à l’heure inquiet et crispé ; je commençais à voir clair dans l’espèce d’amour morbide qu’il avait voué à cette fille indigne ; sa psychologie (un bien gros mot dont je rends responsable Bourget) m’apparaissait enfin ; chez lui, comme chez certains êtres d’élite un peu las et trop affinés, la concupiscence était sœur de la pitié. S’il aimait la souffrance, c’était plus pour le contre-coup sensuel qu’il en éprouvait dans sa chair que pour lui venir en aide et la soulager : il s’était trahi en exaltant la nuit passionnée de Villennes, cette nuit faite de transports désespérés, de reconnaissantes étreintes et de baisers