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de ce décor, pour y encadrer nos adieux, une intention un peu perverse et n’ai-je pas obéi à un secret désir d’attrister et de mélancoliser l’âme de mon amie en la conduisant, au moment de me séparer d’elle, dans un paysage à souhait pour aggraver l’impression d’irréparable et d’indicible détresse inhérente à tout départ !

« Tout paysage est un état d’âme. » Littérateur aux moelles viciées de littérature, je me suis trop souvenu de mes auteurs et c’est certainement en mémoire des lentes et mélancoliques promenades à cheval de mes vingt ans, quand, jeune homme tenu très à court par un père économe et forcé, faute d’argent, d’habiter la province, je venais égarer là, durant d’interminables et mortelles journées, d’impatientes rêveries de captif, c’est certainement en mémoire de ces mornes chevauchées de ma jeunesse, que j’ai conduit avant-hier miss Holly dans ces hautes futaies de Franqueville, ces profondes et sonores hêtrées, où tant de fois j’ai, le cœur révolté et poigne de tristesse, écouté ma monture s’ébrouer et hennir à grand bruit dans le vent.

Le vent, comme autrefois, y faisait bruire et