Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les pieds nus dans des babouches de fine paille tressée, toutes brodées de perles bleues et vertes ; elle était vraiment charmante ainsi dans le sans-façon et la cordialité à la fois pitoyable et ironique de sa bienvenue : une robe de crêpe gris, d’un gris de cendre très doux, ornée à l’échancrure du col d’arabesques d’or mat, la moulait tout entière, et je la devinais nue sous l’étoffe, rien qu’à l’harmonie des plis. Ses grands yeux gris, du gris de l’Océan sous l’ondée, et qui, eux aussi, semblent avoir tant souffert, avaient une douceur familière, et dans sa robe de nuance neutre que la nudité du corps devinée dessous faisait sans époque, elle avait l’air, au milieu de ce petit jardin de banlieue ensoleillée, d’une princesse barbare, d’une de ces héroïnes mendiantes, qu’on rencontre, le lendemain des défaites, suivant la panique des armées dans les récits mérovingiens.

D’une princesse chassée de son palais et fuyant, angoissée et pieds nus, les hordes ennemies qui battent la campagne, elle avait bien la chevelure en révolte, embroussaillée et comme ignorante du peigne. Cette jolie tête effarée et souriante avait dû reposer certainement en plein vent, dans les feuilles sèches des forêts