Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant de premières, un de ces garçons qu’on voit partout… Voilà dix ans que, sans plus nous connaître, nous échangions de hâtives poignées de main dans les couloirs de théâtres et les escaliers de journaux, dix ans que nous mimions à grand tour de bras de rapides « Bonjour, cher », d’un bout à l’autre du boulevard ; mais, en bonne conscience, je ne l’estimais guère.

Je le savais marié à une délicate et maladive jeune femme, rarement entrevue dans le clair-obscur d’une baignoire aux répétitions générales ; et cette douloureuse créature, condamnée par la Faculté à la suite de couches et depuis trois ans clouée sur une chaise longue dans l’isolement et l’immobilité, Saintis la trompait effrontément, cyniquement, sans vergogne, menant ouvertement la vie des filles et des tripots, affichant ses caprices d’un soir et ses liaisons d’un mois dans les endroits publics où notre ennui s’abuse, ramassant ses maîtresses des coulisses des petits théâtres aux Halles de plaisir, comme les Folies ou le Moulin-Rouge ; et la pauvre isolée, paraît-il, l’adorait : elle avait voué, disait-on, à ce viveur un culte exalté et fervent de pensionnaire amoureuse, un