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Lucindo.

Les bien-venus comme moi sont toujours les mal-venus. — Vous vous êtes payée de votre main des bontés que vous aviez eues pour moi, vous défiant sans doute de ma générosité. Dieu sait, Phénice, que ce qui m’a affligé ce n’est pas d’avoir perdu cet argent ; mais de n’avoir trouvé en vous que fausseté en retour de l’amour le plus sincère. Quant au reste, la fortune dont jouit ma famille a aisément réparé mon malheur, et je reviens de Valence avec une valeur de trente mille ducats.

Phénice.

Que vous êtes impatient ! Vous n’avez donc pas vu que j’avais voulu vous éprouver ? J’avoue que j’ai reçu de vous cette somme, me confiant à toutes les assurances de tendresse que je vous avais données. Puis je fus curieuse d’observer jusqu’où iraient les plaintes d’un ingrat qui me méconnaissait. Le jour où vous partîtes je vous envoyai chercher par Célia ; mais quand elle arriva chez vous, vous veniez de vous embarquer. Ah ! quelle nuit vous m’avez fait passer ! que de larmes, que de regrets vous m’avez causés ! Que je me suis repentie d’avoir tenté cette épreuve !

Lucindo, bas, à don Félix.

C’est de cette manière qu’elle m’a joué dans le temps.

Phénice.

Je ne pourrai jamais vous exprimer ma douleur. La seule chose qui me consola au milieu de mes peines ce fut votre argent. Je l’avais sans cesse entre les mains comme un gage qui me venait de vous, je le couvrais de caresses, et je lui disais toute sorte de folies qui attendrissaient tous ceux qui étaient là.

Lucindo.

Est-il possible, madame, que mon départ vous ait causé un tel chagrin ? Combien je suis honteux et effrayé de ma folle conduite ! Vive Dieu ! si maintenant j’étais au milieu de la mer, et que cette nouvelle m’arrivât, je me précipiterais dans les flots pour venir vous retrouver à la nage ou mourir… Mais je m’aperçois, mon bien, que je vous retiens indiscrètement dans la rue. Ma passion m’a fait oublier ce que je vous dois… Enfin, vous correspondez à mon amour, je suis heureux !… Ô mon père ! pardonne ! de l’argent que j’apporte, il ne retournera pas un écu à Valence… Allez, Phénice, allez à la douane, informez-vous de la quantité de marchandises avec laquelle j’arrive à Palerme ; et soyez assurée que mon premier désir en les vendant est d’en mettre le produit aux pieds de votre beauté céleste. La seule chose que je demande au ciel est de pouvoir vous contempler au gré de mes vœux.

Phénice.

Noble et généreux Espagnol, le seul trésor que j’ambitionne, n’en doutez pas, c’est votre tendresse.