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mais non pas contre l’inconstance de son amour. Celui qui ne donne rien est mal venu à se plaindre ou même à se montrer jaloux ; ce n’est qu’en donnant que l’on obtient des droits sur une femme ; et alors l’ingratitude qu’elle témoignerait serait une horrible trahison, un véritable adultère… Mais il faut aussi considérer que vous vous êtes attaché à elle peu à peu, que vous l’aimez, et que vous ne prendriez pas aisément votre parti si elle venait à vous traiter avec indifférence. Je suis bien convaincu, au contraire, que si vous soupçonniez qu’elle s’éloigne de vous par intérêt, vous vous obstineriez à la conserver, et que vous seriez capable de lui donner en un jour ce que vous ne lui avez pas donné en un mois.

Lucindo.

Mon avis est, Tristan, que jamais Phénice ne me laissera pour un autre. Elle n’aime pas, elle, par intérêt.

Tristan.

Prenez garde ! l’amour qui s’opiniâtre est un hérétique qui foulerait aux pieds les vérités les plus saintes, et celui qui se fie à une femme risque beaucoup.

Lucindo.

Ai-je eu tort ? Est-ce ma faute ? La beauté n’est-elle pas une sorte d’autorité légitime à laquelle il faut que tous les hommes ici-bas se soumettent ? Les sept sages de la Grèce n’ont pas été à l’abri des séductions de la femme en qui ils ont trouvé de l’esprit, de l’attrait et du désintéressement. Diogène et Timon lui-même, qui était si farouche et si sauvage, se sont rendus, par reconnaissance et par amour, à l’affection qu’on leur témoignait. Moi, j’ai résisté assez longtemps, et si mon cœur a cédé à la fin, c’est que j’ai vu la sincérité de Phénice.

Tristan.

Vous commencez à me persuader.

Lucindo.

Elle a dissipé mes soupçons.

Tristan.

Je me suis trompé, j’en conviens.

Lucindo.

Je n’avais qu’à me retirer dans le principe.

Tristan.

Vous étiez près du feu, et il vous a communiqué sa chaleur.

Lucindo.

Pense bien à cela mûrement, et tu avoueras qu’à moins d’inconstance, un homme ne peut pas se détacher d’une femme qui ne demande rien. Pour moi, je permets volontiers à toutes les femmes qui me feront des cadeaux sans en exiger, de me tromper tant qu’il leur plaira ; et je ne reproche pas à celle-ci de recevoir