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Don Juan.

Je vois qu’il est de fer, et que les appuis sont de marbre.

Chacon.

Tenez, monseigneur, vous devez être dans des dispositions poétiques, et vous devriez nous composer un sonnet.

Don Juan.

Si je me sentais la force de l’achever, je commencerais tout de suite.

Chacon.

C’est que, aussi, il n’est pas donné à tout le monde de bien finir un sonnet. On en entend tous les jours qui commencent magnifiquement par des obélisques, des pyramides, des fontaines de cristal, et qui finissent pitoyablement.

Don Juan.

As-tu été poëte, toi ?

Chacon.

Quatre fois. La première m’a valu des coups de bâton. La seconde, quatre curés vinrent m’exorciser, comme si j’avais été possédé d’une légion de diables. La troisième, on me chassa du village comme un pestiféré, comme un homme atteint d’une maladie contagieuse. Mais la quatrième, il faut tout dire, un sonnet me valut une paire de gants.

Don Juan.

Dis-nous-le donc ce fameux sonnet.

Chacon.

Est-ce que vous aurez la patience de l’écouter ?

Don Juan.

Certainement.

Léonel.

Allons, commence.

Don Juan.

Quel est le sujet ?

Chacon.

Le sonnet lui-même.

Il déclame.

Doris qui sait qu’aux vers quelquefois je me plais,
Me demande un sonnet, et je m’en désespère.
Quatorze vers, grand Dieu ! le moyen de les fair ?
En voilà cependant déjà quatre de faits.

Je ne pouvais d’abord trouver de rimes, mais
En faisant on apprend à se tirer d’affaire.
Poursuivons : les quatrains ne m’étonneront guère
Si du premier tercet je puis faire les frais.

Je commence au hasard, et, si je ne m’abuse,
Je n’ai point commencé sans l’aveu de ma muse,
Puisqu’en si peu de temps je me tire du net.

J’entame le second, et ma joie est extrême ;