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Don Arias.

Cela sera difficile. La dame, ou pour mieux dire la demoiselle se pique d’une sévérité et d’un désintéressement sans bornes, et elle traite l’infant plus durement que s’il était son égal.

Le Roi.

C’est aux femmes mariées d’imiter Lucrèce. Je dis imiter… dans sa résistance, et non dans le fait de se donner la mort… car de ceci tout le monde la blâme. — Pauvre infant ! voilà une nuit de fête qui a été pour lui, grand maître, assez triste.

Don Arias.

Sire, voici les Maures de Grenade.

Le Roi.

Il faudrait, ce me semble, un interprète.

Don Arias.

Non, sire, ils parlent notre langue.


Entrent ZULIM et ALI.
Zulim.

Puisse le ciel, noble seigneur, entourer ton front de mille lauriers conquis par ta vaillante épée ! — L’alcayde de Donzelez, de l’illustre famille des Gomèles, venait vers toi comme ambassadeur de Mahomet. Il est tombé malade en chemin. Le roi, qui a beaucoup de confiance en moi, m’a aussitôt envoyé pour lui donner mes soins ; mais il était trop tard ; Allah a rappelé vers lui le malade le jour même où, s’il eût vécu, il serait arrivé à Séville. Je viens donc au lieu et place de Zayde, et je t’apporte, avec la confirmation des trêves, les présents de mon roi. Ce sont trente juments teintes avec de la poudre de troëne[1], amenant chacune deux poulains, et couvertes de housses écarlates ; — des tapis aux couleurs éclatantes, et qui pourraient soutenir la comparaison avec le plus riche jardin orné des fleurs d’avril ; des voiles diversement colorés et du plus fin tissu ; un poignard damasquiné, dont la poignée est toute entourée d’or et de diamants, et qui mérite peut-être que tu daignes le porter à ton côté. — Voilà ce que, avec beaucoup d’autres choses semblables, t’envoie le roi mon maître pour te témoigner son zèle et son obéissance.

Le Roi.

Honorables Maures, je suis flatté que votre roi corresponde à l’amitié toute particulière que je lui ai vouée, et je suis bien sensible à ses présents.

Ali.

Il voit en toi sa défense et son appui, et nous a ordonné de nous mettre, comme ses représentants, à tes pieds.

  1. L’usage de teindre les chevaux avec de la poudre de troëne existe de temps immémorial en Asie. Il passa de là en Afrique, et les Arabes l’importèrent en Espagne.