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Don Juan.

Cela n’est pas possible.

Chacon.

Et, de plus, des tableaux, des banquettes, des chenets, des broches, et mille autres ustensiles de cuisine.

Don Juan.

Ô ciel ! il est aisé de voir d’où vient tout cela. Y a-t-il moyen de souffrir ces outrages ? — Tu vois, Léonel, comme sa conduite est d’accord avec ces belles protestations de dévouement.

Léonel.

Que le ciel me préserve de semblables perfidies !

Don Juan.

Comment un frère, qui passait pour homme d’honneur, et une tante jusque-là respectable, peuvent-ils permettre que l’infant vienne étaler un luxe scandaleux dans cette maison dont la vertu faisait toute la richesse ! Ah ! vil intérêt, que tu as de pouvoir ici-bas ! Ah ! cruelle ! ne devais-tu pas être fière de la simplicité de ta maison ! Et crois-tu que je n’aurais pas pu moi aussi couvrir tes murs de soie et de brocart ? — Des lits, des fauteuils… il paraît que ces gens-ci vont s’établir dans la maison.

Chacon.

Quand j’aperçus les broches, je me sentis rougir comme un poulet rôti. Malédiction ! me dis-je à part moi, ne valait-il pas mieux un mari noble, riche et bien né ?

Don Juan.

Tant mieux !… Va, je n’en mourrai pas. — Quelle femme y a-t-il à Séville, avec laquelle je puisse rire, m’amuser, et faire enrager l’infidèle ?

Léonel.

Eh ! mon Dieu ! dans sa rue même demeure Marcèle.

Don Juan.

Tu as raison. — La connais-tu, Chacon ?

Chacon.

Vous n’avez qu’à préparer un billet. Elle est belle, charmante, et avec elle vous aurez une vengeance très-agréable. Je l’ai vue plusieurs fois vous regarder d’un œil ami, et je sais qu’elle attend avec impatience que vous lui demandiez la permission d’aller lui rendre visite.

Don Juan.

Je ne voudrais pas la voir de jour.

Léonel.

Le plus tôt ne sera-ce pas le mieux ?

Don Juan.

Non. La cruelle croirait que je sollicite ; et je veux qu’elle me voie accueilli aux heures réservées.