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Don Juan.

Rendez-moi du moins tous les gages de tendresse que je vous ai donnés.

Chacon.

Appelons un alguazil.

Don Juan.

Eh quoi ! tu as le courage de rire quand je suis au désespoir ?

Chacon.

Ne savez-vous donc pas que les femmes sont fragiles comme verre ?

Don Juan.

Cruelle Perle, tu es pour moi de marbre. — Mais si tu es Anaxarète, je suis Iphis[1].

Chacon.

Vous êtes gentil.

Don Juan.

Ô mort ! délivre-moi de mes peines ! Les malheureux n’ont que faire de la vie[2].




JOURNÉE DEUXIÈME.



Scène I.

Dans une rue de Séville.


Entrent MARCÈLE, voilée, et DON FÉLIX.
Don Félix.

Je suis charmé, madame, de vous avoir rencontrée dans cette rue. Qu’y cherchez-vous ?

Marcèle.

Cela peut se dire sans difficulté. — Je viens acheter des patins[3], dont je fais une effroyable consommation.

Don Félix.

Vous auriez pu dire de la soie, du velours, de la belle toile de Hollande. Mais, je le vois, vous avez craint d’induire en dépense un amant qui a plus de bonne volonté que de ressources effectives. Eh bien, de mon côté, je ne m’en tiendrai pas aux patins, et vous me permettrez d’y ajouter des gants.

  1. On peut voir dans les Métamorphoses d’Ovide, liv. xiv, comment Iphis, désespéré des rigueurs d’Anaxarète, se donna la mort.
  2. Don Juan dit, en les prenant au sérieux, les mêmes paroles que Dorothée vient de dire en badinant.
  3. On se rappelle le vers de Boileau :

    La trop courte beauté monta sur des patins.