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Entrent JACOB, vieillard vénérable, RUBEN et ISSACAR, vêtus à la manière des Hébreux.
Jacob.

Gardez vos consolations. Il n’en est point pour moi. Mes yeux doivent toujours pleurer une telle disgrâce, et depuis que j’ai perdu mon bien et ma joie, il n’y a plus de repos pour ma vieillesse. Tant que je vivrai, la déplorable histoire de Joseph sera présente à ma pensée. Tant que je vivrai, mes larmes et ma voix ne cesseront de rappeler mon malheur.

Ruben.

Jacob, mon père bien-aimé, à quoi sert de nourrir sans cesse ta pensée de cette douleur ? Joseph n’est plus… c’en est fait… J’ai déchiré mes vêtements et ma poitrine.

Jacob.

C’est la vue de cette campagne qui a renouvelé mes chagrins.

Issacar.

Certes, mon père, aucun malheur ne serait sur la terre comparable à ton malheur, si tu n’avais pas d’autres fils que Joseph. Mais il te reste encore onze fils. Ces regrets que tu témoignes de sa perte sont une injustice pour nous.

Jacob.

Hélas ! je l’avoue, Issacar, j’ai à certains égards mérité ma disgrâce ; car je préférais Joseph à tous mes fils. Étant déjà dans un âge avancé, je l’engendrai de Rachel, de la belle Rachel, doux objet de mon amour, pour laquelle je servis quatorze ans, supportant des offenses et des tromperies continuelles.

Ruben.

Eh bien ! dis-moi, ne te reste-t-il point de la même Rachel l’aimable Benjamin pour te consoler… Benjamin dont les yeux sont si beaux, la chevelure si riche, le parler si suave, et qui excelle à chasser l’ours dans la forêt ?

Jacob.

Y a-t-il ici quelque berger ?

Issacar.

Voilà Bato. Mon père et seigneur, tu n’as qu’à lui donner tes Ordres.

Jacob, à Bato.

Va, mon ami, vers Benjamin, qui est là-bas avec son troupeau, et dis-lui qu’il vienne avec toi trouver Jacob.

Bato.

Je vais te servir.

Il sort.
Jacob.

Puisse le ciel, qui m’a laissé vivre tant d’années, m’accorder à la fin quelque consolation !