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à une torture rigoureuse, il m’a été impossible d’en tirer autre chose. J’ai approché du chevalet jusqu’à des enfants de dix ans, et ni par tourments, ni par menaces, je n’ai rien pu savoir. Donc, puisqu’il est si difficile d’arriver à la vérité, il faut, sire, ou leur pardonner à tous, ou les mettre tous à mort. Les voici qui arrivent en masse, et il ne tient qu’à vous, sire, de vous assurer de ce que je vous rapporte.

Le Roi.

Qu’on les fasse entrer.


Entrent les Alcades, les Paysans et les Paysannes de Fontovéjune.
Laurencia.

Ne sont-ce pas les rois ?

Frondoso.

Oui, ce sont les maîtres souverains de la Castille.

Laurencia.

Qu’ils sont beaux l’un et l’autre !… Que saint Antoine les bénisse !

La Reine.

Voici donc les mutins ?

Estévan.

Fontovéjune, madame, se jette à vos pieds pour vous offrir ses services. L’insupportable tyrannie, l’excessive cruauté du commandeur, qui nous faisait mille outrages, a été la cause de son malheur. Sans pitié et sans mœurs, il nous prenait nos biens, et forçait nos femmes et nos filles.

Frondoso.

Cette jeune villageoise, que le ciel m’a accordée pour mon bonheur, le soir même de mes noces, il l’emmena dans sa maison comme si elle eût été à lui ; et si sa vertu et son courage ne lui eussent donné des forces pour résister, vous pouvez deviner ce qu’il serait advenu[1].

Mengo.

Et moi, ne puis je pas parler aussi ? — Si vous m’en accordez la permission, vous serez émerveillé de savoir comme il m’a arrangé. Parce que je voulus défendre une jeune fille contre les violences de ses gens, ce maudit Néron me fit traiter de telle façon, qu’à un certain endroit ma peau devint aussi rouge qu’une tranche de saumon. Trois hommes battirent la mesure sur mon dos avec une telle constance, que je m’en ressens encore, quoique, pour tanner mon pauvre cuir, j’aie plus dépensé en poudre de myrte que ne vaut tout mon patrimoine.

Estévan.

Sire, nous voulons être à vous. Vous êtes notre seigneur naturel, et à ce titre nous avons déjà inauguré vos armoiries. Nous comp-

  1. Dans la première scène de la troisième journée, Laurencia ne dit pas qu’elle ait eu la force de résister au commandeur ; mais ici c’est le mari qui parle.