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verriez… mais si les divers éléments sont en perpétuelle discorde, et si ce sont eux qui alimentent notre corps… c’est d’eux que nous viennent la bile, la mélancolie, le sang, le flegme… et cela est clair…

Barrildo.

Non, Mengo, dans ce monde et dans l’autre, partout, vois-tu, règne une admirable harmonie… et l’harmonie, c’est l’amour.

Mengo.

Pour ce qui est de l’amour naturel, je ne le nie pas ; loin de là, c’est lui, selon moi, qui conserve toutes choses par la correspondance nécessaire de ce que nous voyons ici-bas[1], et j’ai toujours reconnu que chacun a un amour qui protége et soutient son existence. Ainsi ma main défend ma figure du coup qui la menace ; ainsi mes pieds, en fuyant, dérobent mon corps à un danger prochain ; ainsi mes paupières se ferment instinctivement si je crains quelque chose pour mes yeux. — Cela, c’est l’amour naturel.

Pascale.

Eh bien ! en quoi prétends-tu qu’ils se trompent ?

Mengo.

En ce que, dans mon opinion, nul n’aime que sa propre personne.

Pascale.

Pardonne-moi, Mengo, mais cela n’est pas. — C’est un fait, au contraire, que l’homme aime la femme, et chaque animal son semblable.

Mengo.

Cela, c’est de l’amour-propre, et non pas de l’amour. Qu’appelles-tu amour, Laurencia ?

Laurencia.

C’est le désir de la beauté.

Mengo.

Et cette beauté, pourquoi l’amour la désire-t-il ?

Laurencia.

C’est… pour obtenir… ce qu’il veut.

Mengo.

Oui, pour la posséder.

Laurencia.

Après ?

Mengo.

Eh bien ! le plaisir de cette possession n’est-il pas pour celui qui la désire ?

Laurencia.

Sans doute.

  1. Nous avons traduit aussi littéralement que possible cette métaphore un peu subtile. Le sens de cette phrase s’explique par ce qui suit.