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Le Comte.

Si ce lieu où vous m’avez ordonné de venir vous joindre est celui où vous imaginez que je vous ai offensé, — que ces fenêtres disent si jamais elles ont ouï mes soupirs et mes plaintes. Que Celia dise si jamais j’ai sollicité sa tendresse. Qu’un homme dise si jamais il m’a surpris causant avec elle.

L’Infant.

La duchesse ne ferait pas tant de difficulté d’avouer cette liaison ; elle ne nierait pas ce que vous niez, elle qui vous écrit des billets doux qu’elle vous rend elle-même. Sans doute elle se pique d’être plus fidèle que vous. — Quoi qu’il en soit, Prospero, à tort ou à raison j’ai conçu de la jalousie, et vous seul pouvez me rendre le repos. Il faut que mes tourments finissent, ou c’en est fait de votre vie.

Le Comte.

Je ne regretterais pas de la perdre si cela importait à votre service.

L’Infant.

Fort bien.

Le Comte.

Si vous l’ordonnez, dès aujourd’hui je cesserai de lui parler et de la voir.

L’Infant.

Je veux m’assurer de vous d’une manière qui ne me laisse aucun doute.

Le Comte.

Que désirez-vous donc ?

L’Infant.

Il convient pour que je sois complètement désabusé, comte, que vous vous absentiez pendant un an… Retirez-vous tranquille dans vos terres. Vous n’êtes point riche, et le séjour de la cour vous occasionne trop de dépenses… D’ailleurs vous vous y êtes fait suffisamment connaître ; le roi mon père vous estime, et vous avez obtenu la considération des cavaliers et des dames… Éloignez-vous donc en toute sécurité durant le temps que je vous ai dit, et comptez que je m’occuperai d’augmenter votre fortune.

Le Comte.

Si vous me donniez des conseils par pure bienveillance pour moi, monseigneur, je ne balancerais pas à vous obéir ; mais puisque vous n’agissez ainsi que par mauvaise volonté à mon égard, — souffrez que je ne m’explique pas davantage, — il m’est impossible de me soumettre à ce que vous exigez. Vous avez tout pouvoir pour m’honorer, prince, mais non pas pour m’exiler… vous n’êtes pas encore roi… Contentez-vous que je m’engage à ne plus entretenir et à ne plus voir Celia.

L’Infant.

Ah ! vous vous obstinez ! Eh bien ! je m’obstinerai pareillement