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de l’art. Ce n’est pas, grâces à Dieu, que je les ignore : j’étais encore écolier, et le soleil n’avait pas depuis ma naissance passé dix fois du Bélier aux Poissons, que toutes ces théories m’étaient familières ; mais à l’époque où je débutai dans la carrière, je trouvai la scène remplie d’ouvrages bien différents de ceux que laissèrent pour modèles les premiers inventeurs de cet art, et tels enfin que les avaient composés des barbares qui avaient accoutumé le vulgaire à leur grossièreté. Et ils se sont si bien établis sous cette forme, que celui qui maintenant veut écrire pour le théâtre suivant les préceptes de l’art, meurt sans gloire et sans récompense ; car parmi ceux qui ne sont pas éclairés par les lumières d’une raison supérieure, la coutume l’emporte toujours.

Plusieurs fois, il est vrai, j’ai écrit suivant ces principes que peu de personnes connaissent ; mais aussitôt que je vois paraître ces compositions monstrueuses pleines d’apparences magiques où accourent le peuple et les femmes idolâtres de ces sottises, je retourne à mes habitudes barbares ; et lorsque j’ai à écrire une comédie, j’enferme toutes les règles sous de triples verroux ; j’éloigne de mon cabinet Plaute et Térence, de peur d’entendre leurs cris, car la vérité réclame à haute voix dans ces livres muets ; et j’écris alors suivant l’art qu’ont inventé ceux qui ont voulu obtenir les applaudissements de la foule. Après tout, comme c’est le public qui paye ces sottises, il est juste qu’on le serve à son goût. La véritable comédie a un but, comme toute espèce de poëme, et ce but est d’imiter les actions des hommes et de peindre les mœurs du siècle où ils ont vécu. Or toute imitation poétique se compose de trois choses : le discours, le vers, l’harmonie ou la musique*. La comédie et la tragédie con- [1]

  1. Tambien qualquiera imitacion poetica
    Se hace de tres cosas, que son platica,
    Verso dulce, harmonia o sea la musica.

    L’honorable M. Labeaumelle, qui a traduit avant nous el Arte nuevo, a rendu ainsi ce passage : « Toute imitation poétique se compose de trois choses, la déclamation ou le chant, les vers ou l’harmonie. » Dans l’énumération de M. Labeaumelle, il n’y pas trois choses (tres cosas) ; il y en a deux, ou il y en a quatre. Ensuite il ne s’agit pas de chant ; il s’agit seulement de l’harmonie des vers. Ce qui excuse M. Labeaumelle, et ce qui nous excusera nous-même si nous n’avons pas bien rendu ce passage, c’est le vague des expressions de Lope.