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gnols étaient la première nation du monde. Shakspeare me semble avoir donné à quelques-uns de ses ouvrages une perfection plus complète. Lope a plus de ces choses qui étonnent et qui ravissent. Shakspeare, penseur et philosophe, creuse plus profondément ses sujets ; mais il provoque le doute, et l’on éprouve souvent en le lisant je ne sais quel vague malaise qui dut s’emparer plus d’une fois de cette intelligence méditative. Lope respire la foi, l’ardeur, l’enthousiasme ; il vous entraîne, il vous enflamme, il vous élève dans une sphère d’activité supérieure ; et quels que soient ses défauts, qu’on a beaucoup exagérés, on peut appliquer à son théâtre ce que disait l’un de nos plus admirables poëtes en rappelant ce conte d’un amant « qui brûla sa maison pour embrasser sa dame » :

Il est bien d’une âme espagnole
Et plus grande encore que folle.

Lope a eu sur le théâtre moderne une influence qui n’a pas été donnée à Shakspeare. Les plus illustres dramatistes espagnols, soit de son temps, soit de la génération suivante, les Guillen de Castro, les Tirso, les Alarcon, les Calderon, les Moreto, l’ont tous proclamé leur chef et leur maître, et nos poëtes à nous ne lui ont pas moins d’obligations. « Si Lope de Vega n’eût pas écrit, dit avec raison lord Holland, il est probable que les chefs-d’œuvre de Corneille et de Molière n’auraient jamais été composés. » Et qui peut imaginer ce qu’eût été le théâtre français sans les chefs-d’œuvre de Corneille et de Molière ?

D’où vient donc le discrédit où est tombée la renommée de Lope ? D’où vient qu’aujourd’hui même les critiques les plus favorables aux poëtes espagnols n’ont pas cherché à restituer à son nom la gloire qui lui appartient ? Le voici : c’est qu’ils ne l’ont point lu ; et cela, parce que, sur la foi de la médiocrité jalouse, laquelle n’admet pas l’excellence dans la fécondité, ils se sont persuadés qu’un poëte qui a tant produit n’a rien pu produire qui soit digne d’admiration. Déjà du temps de Lope, et presque à ses commencements, ces misérables préventions s’étaient manifestées, et il les a combattues avec cette éloquence pleine d’esprit et d’imagination qui est l’un des caractères distinctifs de son talent : « Que peuvent donc