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Enfin, comme écrivain, un style simple, clair, précis, d’une souplesse et d’une richesse merveilleuse[1], et qui reproduit exactement toute chose ainsi qu’un miroir fidèle, tels sont les mérites de Lope. Aussi n’hésité-je pas à le proclamer le premier poëte de l’Espagne, malgré certaines taches qui se rencontrent çà et là dans quelques-uns de ses ouvrages, et dont je vais essayer d’expliquer l’existence.

Les Espagnols, qui ont naturellement dans l’esprit beaucoup d’élévation, d’éclat et de finesse, ont aussi les défauts de leurs qualités : un certain amour de la pompe, le goût des images gigantesques, et de la subtilité. Ces défauts, vous les trouverez dès les premiers temps chez les écrivains espagnols-latins de la décadence, et c’est peut-être ce qui a fait dire à Quintilien, parlant de Lucain, qu’il avait plus de l’orateur que du poëte. — Remarquez, d’ailleurs, que les écrivains espagnols-latins de cette époque appartenaient tous aux provinces les plus méridionales de la péninsule, et, selon nous, entre l’esprit des habitants de ces provinces et celui des Africains il existe une étonnante analogie. Comparez, par exemple, Sénèque le philosophe né à Cordoue et saint Augustin, vous serez étonnés de la ressemblance. Plusieurs pages des Confessions paraissent écrites par un Sénèque chrétien.

Au moyen âge des rapports fréquents s’établissent entre les Espagnols et les autres peuples de l’Europe, et malgré la conquête arabe, l’influence européenne me semble visible dans ce qui nous a été conservé des monuments écrits de cette époque. Lors de la renaissance, les Espagnols étudient les modèles de l’antiquité et ceux de l’Italie. À ce contact, à cette étude, leur génie s’améliore ; il gagne de la mesure, de la réserve ; et l’on peut tout en attendre, lorsqu’un homme paraît qui vient détourner la littérature espagnole de l’heureuse voie où elle marche, pervertir le goût, corrompre la langue.

Cet écrivain se nommait Louis de Gongora, et, soit dit en passant, il était de la même province, de la même ville qui, quinze siècles auparavant, avait vu naître Sénèque. Il avait

  1. Deux pièces de Lope, Las famosas Asturianas, et el Caballo vos han muerto, sont écrites dans le style des plus anciens monuments de la langue espagnole. Ces pièces, d’ailleurs, n’en étaient pas moins bien comprises d’un public qui chantait ou entendait chanter tous les jours les vieilles romances nationales.