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qu’aux esprits originaux[1]. » Déjà convaincu de la légitimité de sa théorie, son amour de la gloire l’empêcha d’hésiter.

Mais quelle que soit l’importance de la forme, elle n’est que secondaire dans un drame. Ce que l’on doit chercher avant tout dans un auteur dramatique, c’est la puissance créatrice, l’art de peindre les mœurs, de peindre les caractères et de les mettre en scène, l’élévation de la pensée, la verve de plaisanterie, le sentiment de l’effet théâtral, et enfin le style. Voilà les qualités par où nous allons essayer de faire connaître Lope.

Si jamais poëte a reçu du ciel la faculté créatrice, faculté si précieuse et si rare, assurément c’est Lope. Nul à cet égard ne fut mieux doué ; nul peut-être ne le fut aussi bien. Et cela je ne le dis pas seulement parce qu’il a composé un nombre infini de pièces, mais parce qu’il a imaginé une comédie toute nouvelle, qui n’est ni la comédie satirique d’Aristophane, ni la comédie judicieuse et honnête, mais un peu froide, des Latins, ni la comédie épigrammatique et licencieuse des Italiens modernes ; comédie brillante, élégante, pleine d’action, de vie, de mouvement, d’une intrigue vive et facile, et constamment remplie par le jeu des plus nobles passions. Pour le fond des choses, comme pour la forme, Lope de Vega a créé un théâtre.

On peut aussi recommander la comédie de Lope sous le rapport de la peinture des mœurs. Il avait beaucoup vu, et, par conséquent, avait beaucoup retenu. À quiconque voudrait connaître l’Espagne de 1580 à 1630, c’est-à-dire à l’une de ses époques les plus intéressantes, ses mœurs, ses coutumes, ses usages, ses idées, ses préjugés, et qui me ferait l’honneur de me consulter sur les documents à lire, je répondrais : Avec Cervantes et les romanciers, lisez Lope de Vega. L’Es-

  1. … Ninguno lo que imita iguala…
    … Ninguno en el methodo estrangero
    Puso su ingenio en el lugar primera.

    Philomena, 2e parte.

    Michel-Ange pensait sur ce point comme Lope de Vega. On lui rapportait un jour que le sculpteur Baccio Bandinelli se vantait d’avoir fait du groupe de Laocoon une copie supérieure à l’original. « Celui qui marche sur les traces d’un autre, dit le grand artiste, reste toujours en arrière. »