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qu’il avait acquises dans ses voyages, et sans compter qu’il parlait et écrivait les principales langues de l’Europe moderne, il possédait en savant les littératures de la Grèce et de Rome ; il avait lu, plus complétement qu’on ne fait aujourd’hui, leurs poëtes, leurs orateurs, leurs philosophes ; et nous avons de lui des vers latins que ne désavouerait point, je suis sûr, le plus habile de nos professeurs en Sorbonne.

C’est pourquoi lorsqu’on voit les fondateurs du théâtre moderne établir une théorie nouvelle, au lieu de les accuser d’ignorance, il faut chercher si cette théorie ne tient pas nécessairement à la nature des choses.

Chez les anciens le théâtre était né de l’ode ou de l’hymne. On avait d’abord célébré les demi-dieux, les héros de la mythologie, en des chants lyriques ; ensuite à ces chants on ajouta une action et quelques personnages ; et ceux-ci durent se mouvoir avec une majestueuse solennité dans une sphère idéale. Le fait mis en action était d’une extrême simplicité : point d’épisodes, point de détails qui eussent rappelé d’une façon trop précise les souvenirs de la vie commune. Or, l’action étant fort bornée, elle pouvait, elle devait s’accomplir sur un terrain et dans un espace de temps peu étendus, en un lieu, en un jour.

Les fondateurs du théâtre moderne partirent, comme les anciens, des traditions nationales ; et comme dans ces traditions se trouvaient le mélange d’homme des classes les plus élevées et les plus humbles, le récit des choses les plus nobles et les plus prosaïques, ce caractère des traditions dut se retrouver dans le drame. Et de ce conflit de personnages, de passions et d’intérêts, il résulta un nombre plus considérable d’incidents, d’événements, une unité plus vaste, plus compliquée, plus variée. Et dès lors, on le conçoit sans peine, le poëte fut obligé de faire passer son action en différents lieux et dans un plus long temps.

Les poëtes français du dix-septième siècle, qui ont laissé de si beaux ouvrages empreints d’un jugement supérieur, ont préféré la théorie ancienne. Mais aussi il faut se rappeler qu’ils n’ont dramatisé aucun sujet emprunté à l’histoire nationale, et qu’ils ont traité presque exclusivement des sujets grecs et romains. N’est-ce pas une preuve de plus que la forme du drame est impérieusement commandée par la nature des fictions ?