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Arana.

Ainsi donc, il nous faut errer quarante années sur les mers ?

Frère Buyl.

Ceux qui surent souffrir arrivèrent.

Terrazas.

Vive Dieu ! voilà qui est plaisant !… S’ils souffrirent, du moins ils mangeaient, ils avaient la manne pour apaiser leur faim. Ici tout nous manque, et nous serons bientôt réduits à manger le bois du vaisseau. Encore si c’était Dieu qui nous eût fait cette promesse, on pourrait supporter la faim et la soif… Mais comment croire à cet homme, qui est tout au moins un rêveur ?

Colomb.

Celui qui sait attendre avec patience voit facile le but le plus difficile à atteindre.

Pinzon.

Eh bien, s’il faut que nous attendions, allons, nouveau Moïse, dessèche la mer au moyen de ta baguette ; fais, comme lui, jaillir une source qui puisse arroser l’Oreb, et nous passerons comme les Hébreux le désert de Raphidim[1]. Mais sans nourriture, sans eau, et loin de la vue de la terre, nous sommes destinés à périr.

Colomb.

Il est temps que cette révolte finisse. Considérez l’exemple de tous ces hommes qui en souffrant volontairement les plus durs travaux sont arrivés, malgré leurs ennemis, au comble de la prospérité. Voyez Argos, voyez Ulysse.

Pinzon.

Pour Dieu ! vous aussi, voudriez-vous nous métamorphoser en bêtes ?

Colomb.

Laissez cela, Pinzon, ne me tourmentez pas. C’est vous qui m’étonnez le plus ; car vous, avec votre expérience, vous savez bien que je ne vous trompe pas.

Pinzon.

Si fait, il nous trompe. — Halte ! en Espagne !

Terrazas.

Halte ! maître[2] !

Colomb.

Pourquoi tant désirer l’Espagne ?

Arana.

Elle est notre Égypte à nous. Si tu ne veux pas que nous y retournions, donne-nous quelque nourriture ; fais-nous voir un nuage, un oiseau.

  1. Voyez l’Exode, chap. xvii.
  2. Alto, maestro.

    Ces mots s’adressent au pilote.