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côté nous ne pouvons apercevoir ta conquête imaginaire. Je ne te demande plus maintenant de richesses ; garde, garde pour toi toutes les mines d’or, et montre-moi seulement un épi de blé.

Terrazas.

Beaucoup dans l’antiquité ont voulu se faire passer pour des dieux ; et les uns se sont donné la mort ; les autres, pour montrer leur divinité, se sont métamorphosés de diverses manières. Il y en eut un qui sut imiter le bruit du tonnerre. Un autre était parvenu à instruire des oiseaux qui disaient : « Celui-là est dieu ; il faut l’adorer. » Notre capitaine, comme un nouveau Luzbel, a voulu se faire dieu, et pour prouver son pouvoir il a voulu créer un monde. Eh bien, celui qui, comme le mauvais ange, a voulu s’égaler à Dieu et usurper sa puissance, si nous ne pouvons pas le précipiter dans les enfers… la mer est là… nous pouvons l’y jeter.

Pinzon.

Maudites soient, mathématicien imposteur, tes mappemondes qui, avec ton compas, te servent à couvrir tes mauvais desseins ! Nous allons voir par quels diaboliques stratagèmes tu échapperas à notre juste fureur. Tu auras le sort de Jonas… et comme celui qui le premier imagina les courses de taureaux, tu périras dans ta propre invention. Allons, amis, saisissons-le.

Colomb, à part.

C’en est fait de moi.

Frère Buyl.

Au nom du ciel, arrêtez.

Arana.

À la mer ! et là, s’il veut, il se transformera en poisson, comme celui qui, à force de nager, finit, dit-on, par se métamorphoser de la sorte.

Frère Buyl.

Si Dieu permit que Jonas fût jeté dans la mer, ce fut parce qu’il ne s’était pas conformé à ses ordres. Il n’en est pas ainsi de Colomb.

Terrazas.

Et pourquoi ?

Frère Buyl.

Colomb, lui, obéit à Dieu, de qui lui est venue cette inspiration, et il marche où Dieu l’envoie.

Pinzon.

Laissez donc, père ; il ne nous a emmenés avec lui que pour nous perdre. S’il avait eu une inspiration d’en haut, Dieu lui-même, pour qu’il accomplît sa volonté, lui aurait indiqué la terre promise, comme il fit pour Moïse et Aaron.

Frère Buyl.

Prenez garde ! ceux qui en révoquèrent l’existence en doute ne purent pas ensuite en jouir.