Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/318

Cette page a été validée par deux contributeurs.



Scène VI.

À Grenade. — Musique, tambours et clairons. Des voix nombreuses crient : Grenade pour le roi Ferdinand !


Entrent FERDINAND, ISABELLE, MAHOMET, et Cortége.
Ferdinand.

Ce sont des cris bien agréables à mon oreille, Grenade, que ceux que j’entends dans tes murs.

Isabelle.

J’aime à voir flotter cette bannière sur ce rempart.

Ferdinand.

Grande a été la peine, grande est la récompense.

Mahomet.

Invincible prince, c’est ta valeur incomparable qui t’a valu du ciel cette conquête.

Ferdinand.

Le ciel a considéré mon zèle pieux, et il a remis ton empire en mon pouvoir. Ne t’afflige pas ainsi, montre la constance d’un roi.

Mahomet.

La noble ville où je régnais et que j’ai perdue doit être fière de son nouveau roi. Grenade, après avoir vaillamment repoussé les attaques de tant de rois chrétiens qui voulaient la placer sous leurs lois, peut sans honte obéir à Ferdinand. Pour moi, je vais me retirer à Almeria[1], puisque tu veux bien me donner cette ville ; et là je pleurerai les exploits qui ont enlevé l’Espagne aux Africains.

Ferdinand.

Où se propose d’aller ton vieil oncle ?

Mahomet.

Il ira, je crois, à Fez. — Tu me pardonneras, j’espère, noble Ferdinand, ma folle résistance. Oh ! combien il faut que tu sois aimé de Dieu, puisqu’il t’a choisi pour venger l’Espagne du châtiment qui lui avait été infligé sous le roi Rodrigue[2]. Permets à présent, ô mon roi ! que je prenne congé de toi. Entre dans ta cité d’où je suis, hélas ! exilé à jamais. Et vous, illustre reine, soyez heureuse avec le plus noble et le plus généreux prince du monde.

Isabelle.

Il m’a tout attendrie.

Ferdinand.

Il est roi.

Isabelle.

Et il pleure.

  1. Ville d’Espagne, sur les côtes de Grenade.
  2. Sous le roi Rodrigue, l’Espagne fut envahie et conquise par les Maures.