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toutes ses forces à conquérir l’Inde, ce qui est d’un avantage si incertain, et qui juge si difficile la conquête que je lui propose ! Et le roi d’Angleterre qui ne veut pas consacrer à cette entreprise deux navires et une centaine de soldats, qui viendraient avec nous pour la curiosité de voir une nouvelle terre !… Eh bien, vive Dieu ! je n’en crois pas moins qu’elle existe. Ma conviction n’en est pas moins entière.

Pinzon.

Mon pauvre Colomb, vous voilà bien désolé.

Colomb.

Hélas ! tout secours, toute protection me manque.

Pinzon.

Je vous ai conseillé de vous adresser au roi Ferdinand et de donner à ma patrie, à mon roi, cette augmentation et cette gloire, et vous négligez tous les moyens d’arriver !

Colomb.

J’ai déjà fait une tentative ; mais ç’a été pour tous une occasion de me railler. Tous disent, de manière ou d’autre, que ce nouveau monde, s’il existe, ne saurait être habité. Ils allèguent l’exemple de l’Éthiopie, dont les habitants, quoique moins rapprochés du soleil, sont par lui brûlés.

Barthélemy.

À qui donnerons-nous le projet, puisque chacun le déclare impraticable ?

Colomb.

Seul le trésorier en chef[1] Alvaro de Quintanilla a mieux pris cela que les autres. Il est vrai qu’il n’y a peut-être pas en Castille un autre personnage qui ait autant d’intelligence et de mérite. C’est lui qui a composé les règlements de la Sainte-Hermandad[2]. Lui seul m’a écouté avec quelque faveur et m’a paru disposé à me croire ; car un esprit supérieur croit aisément aux grandes choses. Il m’a adressé au cardinal de Mendoce. Celui-ci a été fort bon pour moi, a approuvé l’entreprise, et en a donné communication au roi Ferdinand. Moi-même j’ai vu le roi. Mais, en définitive, il a répondu qu’il était absorbé par le siége de Grenade ; qu’avant de s’occuper d’autre chose il fallait qu’il eût pris cette place, et que jusque-là ce serait folie d’aller chercher au loin un pays incertain. Enfin il m’a laissé, comme vous voyez, dans le même dénûment et sans beaucoup d’espoir. — Ô Dieu ! dire qu’il n’y a pas un roi qui veuille un nouveau monde et tous les trésors que cette main lui donnerait !

  1. El contador mayor.
  2. Nous avons cru devoir conserver cette locution semi-française et semi-espagnole familière à tous les lecteurs de le Sage.