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à Madrid de grands seigneurs, de personnages titrés, de poëtes, de savants, d’artistes, suivait le convoi, entourant avec toute sorte d’égards le neveu et le gendre de Lope. Toutes les congrégations religieuses, sans être appelées, étaient venues. Les fenêtres, les balcons étaient remplis de curieux ; les rues en étaient encombrées, et cependant le convoi, après avoir traversé à grand’peine les flots épais de la foule, s’étendait d’une extrémité à l’autre de la ville. À la prière de Marcela, on avait fait un détour pour passer devant le couvent des Carmélites déchaussées. Elle avait voulu rendre un dernier hommage à celui qu’elle avait aimé d’une affection si touchante. Le convoi défila donc sous ses yeux ; et lorsque l’illustre mort fut arrivé devant le monastère, porté par ses confrères de la congrégation des pauvres prêtres, le visage découvert, suivant l’usage d’Espagne, il y eut un repos de quelques instants. Puis le convoi reprit sa marche vers l’église de Saint-Sébastien, où la messe funèbre fut célébrée avec beaucoup de solennité ; et l’on a remarqué qu’à la fin de la cérémonie, au moment où l’on descendit le cercueil du catafalque pour le porter dans le caveau qui lui était préparé, l’assistance fit entendre un profond gémissement, comme si l’Espagne n’eût perdu que de ce moment le premier et le plus grand de ses poëtes.

Lope était de taille moyenne, bien fait et agile. Le visage très-beau. Une physionomie d’aigle.

D’une propreté irréprochable sur sa personne, il aimait les meubles élégants, les tableaux, les livres. Peu soucieux de ses intérêts personnels, il portait dans les affaires de ses amis un zèle, une activité sans égale. Dans le monde, poli avec les hommes, galant avec les dames, et le causeur le plus éloquent et le plus aimable[1]. Il ne pouvait souffrir, ni ceux qui demandent l’âge d’une personne, à moins que ce ne soit avec une intention de mariage, ni ceux qui prennent du tabac en présence de leurs supérieurs, ni les gens d’église qui allaient

  1. Voici à ce propos un extrait d’une lettre du célèbre Lingendes qui m’a paru assez curieux : « Je vous envoye le sonnet de Lope qui, à mon gré et selon sa réputation, est le meilleur esprit et l’homme qui parle le mieux que j’aye veu en toute l’Espagne. » Lettre du Sr D. L. escritte de l’Escurial à mademoiselle de Mayenne. — Paris, 1612.