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Pélage.

Oui, on raconte dans tout le bourg que depuis hier, à minuit, elle est dans la maison de don Tello.

Sanche.

Maudit sois-tu !

Pélage.

Et tout le monde est convaincu qu’il ne la rendra pas.

Nuño.

Mon fils, au lieu de nous désoler du mal, pensons au remède. Alphonse, que sa valeur et ses exploits ont fait roi de Castille, réside à présent à Léon. Il est bon et justicier. Va le trouver, informe-le de ce qui se passe, et, je me trompe fort, ou il nous rendra justice.

Sanche.

Ah ! Nuño, le roi de Castille est un prince parfait, je n’en doute pas ; mais comment un pauvre laboureur pourra-t-il pénétrer jusqu’à lui ? Comment oserai-je jamais franchir le seuil de son palais ? quel portier souffrira que j’entre ? Là on ouvre les portes au drap d’or, au brocart, aux brillants cortéges, et l’on a raison, je l’avoue ; mais à nous autres, pauvres diables, on ne nous permet que de regarder les armoiries qui sont au-dessus des portes, et encore à condition de ne pas nous en approcher de trop près. Si je vais à Léon, et que j’essaye d’entrer dans le palais, vous me verrez bientôt en revenir tout meurtri de coups de hallebarde. Quant aux mémoires, aux suppliques que l’on parvient à remettre au roi et qu’il reçoit avec tant de bonté, — croyez-le, — elles tombent bientôt de sa main dans l’oubli. Si je vais là-bas, je verrai des dames, des cavaliers, des églises, le palais, le parc, et puis je reviendrai sans avoir réussi, pour vivre dans nos montagnes sauvages au milieu de nos rochers et de nos sapins, plus triste et plus affligé que jamais.

Nuño.

Crois-moi, Sanche, je te donne un bon conseil. Va, va trouver le roi Alphonse. D’ailleurs, vois-tu, si tu restes, je suis sûr qu’on te tuera.

Sanche.

Eh bien, Nuño, tant mieux ; c’est ce que je désire.

Nuño.

Tu connais mon cheval châtain qui vole presque aussi vite que le vent ; je te le prête. Pélage t’accompagnera sur le cheval auber.

Sanche.

Pour ne pas vous contrarier, je cède. — Est-ce que tu viendras avec moi, Pélage ?

Pélage.

Certes oui ; et si content de voir ce que je n’ai jamais vu, que je vous rends mille grâces de vouloir bien m’emmener. On dit que la capitale est un vrai paradis ; que les rues y sont pavées d’omelettes