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Elvire.

Il n’est pas de raisonnement qui me puisse vaincre.

Tello.

Tu dis qu’on ne peut au même instant voir, désirer et aimer ?

Elvire.

Sans doute.

Tello.

Tu ne sais donc pas, cruelle, que le basilic tue d’un seul regard ?

Elvire.

Je ne vous comprends pas.

Tello.

Eh bien, tel a été l’effet de ta beauté.

Elvire.

Seigneur, si le basilic donne la mort, c’est par haine, c’est avec intention ; et certes, moi, je n’aurais pas donné la mort à un homme dont j’aurais voulu être aimée. Mais laissons là, seigneur, tous ces raisonnements. Je suis femme et j’aime, vous n’obtiendrez rien de moi.

Tello.

Qui croirait jamais que c’est une petite paysanne qui parle ainsi ?… Avoue du moins, ma belle, que c’est folie à toi de montrer tant d’esprit, car plus je te vois de perfections, plus je raffole de toi. Plût à Dieu que tu fusses mon égale ! mais tu conviendras toi-même qu’un noble gentilhomme ne peut pas déroger à ce point, et qu’on s’étonnerait de voir unir le brocart à la bure. Dieu m’en est témoin, mon amour franchirait volontiers la distance ; mais le monde a établi ces lois, et je dois m’y soumettre.


Entre FELICIANA.
Feliciana.

Pardonnez, mon frère, mais ma pitié l’emporte… Ne vous fâchez pas, de grâce.

Tello.

Que vous êtes sotte !

Feliciana.

Je n’en disconviens pas. Mais je suis femme aussi, et je trouve que votre entêtement n’a pas d’exemple. Attendez, du moins. Quoique vous soyez un César en amour, César n’aurait pu, avec nous, venir, voir et triompher le même jour.

Tello.

Quoi ! ma sœur, vous êtes contre moi ?

Feliciana.

Quelle rigueur envers cette pauvre fille !

On entend frapper.
Elvire.

Madame, ayez pitié de moi.