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LE CHIEN DU JARDINIER.

Serpalitonie et ce jeune homme ne tardèrent pas à s’aimer, et celle-ci avait de quinze à seize ans, lorsque, pendant un voyage de mon père, cet amour s’accrut et se développa de telle façon, qu’au bout de quelques mois tout le monde put s’en apercevoir. Théodore fut saisi de crainte, et il s’enfuit de chez nous en laissant ma sœur dans un grand embarras. Catiborrato, mon père, sentit vivement ce malheur, mais il fut plus affligé encore du départ de son fils adoptif, et bientôt le chagrin termina ses jours. Presque en même temps nous baptisions son petit-fils ; — car il est bon de vous dire que l’église d’Arménie, quoique séparée de la vôtre, suit les mêmes rites ; et le jeune enfant fut appelé Terrimaconio. Il est l’un des plus beaux de la ville de Tépicas, où nous résidons. Arrivé à Naples, et tout en m’amusant à visiter la ville, je me suis informé, comme je le ferai partout, de Théodore, et une esclave grecque, qui sert dans mon hôtellerie, m’a dit que ce pourrait bien être le fils du comte Ludovic.

Ludovic.

Oh ! oui, c’est lui, je n’en doute pas ; mais où le trouver ?

Tristan.

À ces mots, qui sont pour moi un trait de lumière, — je m’enquiers de votre demeure ; on me comprend mal et l’on m’envoie chez la comtesse de Belflor, et là, devinez quelle est la première personne que je vois…

Ludovic.

Tout mon cœur est ému.

Tristan.

C’était Théodore !

Ludovic.

Théodore, dites-vous ?

Tristan.

Il aurait bien voulu m’éviter. Impossible. Moi, après avoir hésité un moment à cause que la barbe l’a un peu changé, je l’ai bien vite reconnu, et suis allé vers lui. De son côté il n’a pas tardé à me reconnaître. Il m’a supplié de ne raconter l’aventure à personne, il craignait qu’on ne vînt à avoir mauvaise opinion de lui parce qu’il avait été en esclavage. « Eh quoi ! lui ai je dit, toi qui es peut-être le fils d’un des plus grands seigneurs de Naples, tu rougirais de ce que tu as été accidentellement esclave ? — Moi, fils d’un grand seigneur ! a-t-il répondu ; quelle folie ! » Bref, je suis venu savoir de vous-même la vérité de ce que m’a dit l’esclave grecque, et si Théodore est bien réellement votre fils, vous recommander son fils à lui et mon neveu. Oh ! oui, permettez que ma sœur vienne à Naples avec le jeune Terrimaconio… non pas que je songe pour cela à un mariage qui pourrait humilier votre fierté, mais pour qu’elle présente son enfant à son illustre aïeul.