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LE CHIEN DU JARDINIER.

La Comtesse, à part.

La jalousie a réveillé mon amour. Il aime Marcelle ! et moi il me dédaigne ! — Je suis leur jouet à tous deux.

Théodore, à part.

Elle murmure et se plaint. Ah ! pourquoi ai-je oublié ce que je disais : que dans les palais les tapisseries entendent et les murailles parlent ?

Anarda revient avec tout ce qu’il faut pour écrire.
Anarda.

Madame, voici une petite table et tout ce qui est nécessaire.

La Comtesse.

Approchez, Théodore, et prenez la plume.

Théodore.

Je suis perdu ! La moindre chose que j’aie à redouter, c’est qu’elle me chasse.

La Comtesse.

Écrivez.

Théodore.

Je vous écoute.

La Comtesse.

Vous n’êtes pas bien debout. (À Anarda.) Donne-lui un fauteuil.

Théodore.

Je suis à merveille.

La Comtesse.

Fais ce que je te dis.

Théodore.

Après les soupçons et la colère où je l’ai vue, tant d’honneurs me sont suspects, et j’ai tout à craindre. (Haut.) J’écoute, madame.

La Comtesse.

Écrivez.

Théodore.

Puisse cette croix détourner le malheur qui me menace[1] !

La Comtesse, dictant.

« Lorsqu’une dame de haut rang s’est déclarée à un homme qui est au dessous d’elle, il est impardonnable de parler encore à une autre. Mais celui qui n’a pas su apprécier sa fortune peut rester ce qu’il est… un sot. »

Théodore.

J’ai écrit. Est-ce tout ?

La Comtesse.

N’est-ce pas assez ? Pliez cette lettre.

Anarda, bas, à la Comtesse.

Que faites vous, madame ?

  1. Allusion au vieil usage espagnol qui consistait à tracer au commencement d’une lettre l’image d’une croix : †.