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LE CHIEN DU JARDINIER.

Marcelle.

À Dieu ne plaise que je détruise ainsi les fondements de votre grandeur ! Servez, persistez, ne vous découragez pas, on vous accuserait de légèreté ; suivez, en un mot, le bonheur qui s’offre à vous, comme je veux suivre le bonheur qui s’offre à moi. Je ne saurais vous offenser en aimant Fabio, puisque vous m’avez abandonnée. Peut-être n’ai je point gagné au change : mais enfin c’est toujours beaucoup pour moi de venger mon injure… Adieu ; voilà un assez long entretien, et comme Fabio est presque mon époux, je ne voudrais pas qu’il nous vît ensemble.

Théodore.

Arrête-la, Tristan, arrête-la.

Tristan.

Écoutez, écoutez, mademoiselle. Si mon maître a cessé de vous aimer, il est prêt à recommencer ; et s’il a eu tort de vous quitter, il le répare en revenant à vous. — Écoutez-moi donc, mademoiselle.

Marcelle.

Que veux-tu, Tristan ?

Tristan.

Attendez un moment.


Entrent LA COMTESSE et ANARDA. Elles s’arrêtent à la porte.
La Comtesse.

Théodore et Marcelle ici ?

Anarda.

Vous paraissez fâchée de les voir ensemble.

La Comtesse.

Prends cette portière, et couvrons-nous… Mon amour se réveille avec ma jalousie.

Marcelle.

Au nom de Dieu, Tristan, laissez-moi.

Anarda.

Tristan cherche à les mettre d’accord. Ils doivent être brouillés.

La Comtesse, à part.

Ce coquin de valet me mettrait en colère[1].

Tristan.

L’éclair ne passe pas plus vite que n’a passé devant lui la froide beauté de celle qui l’adore. Maintenant il n’y pense plus ; il préfère votre grâce, vos attraits à tous ses trésors… Croyez-moi, cet amour a disparu comme une comète. — Écoutez, Théodore.

La Comtesse, à part.

Le drôle ne manque pas d’adresse.

Théodore.

Pourquoi m’appeler, Tristan ? N’a-t-elle pas dit qu’elle était engagée à Fabio, et qu’elle l’aimait ?

  1. La comtesse qualifie Tristan d'une manière beaucoup plus énergique. Elle le nomme Alcahuete.