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JOURNÉE II, SCÈNE III.

La Comtesse.

Eh bien, cette froideur que tu m’attribues, elle est tombée aux pieds d’un homme d’une condition inférieure.

Anarda.

Et… quel est cet homme ?

La Comtesse.

Je ne puis pas te le nommer. Le respect que je me dois à moi-même m’empêche de prononcer son nom. Sache seulement que cet amour serait capable de me dégrader.

Anarda.

Dans l’antiquité, madame, il y avait bien d’autres mésalliances, à commencer par celles de Pasiphaé, de Sémiramis, et d’autres dames que je veux bien ne pas nommer. Vous, madame, vous aimez un galant homme, et quelle que soit sa condition, je trouve cela fort excusable[1].

La Comtesse.

Celle qui aime peut haïr si elle veut. C’est là le mieux. Je ne veux plus aimer.

Anarda.

Le pourrez-vous ?

La Comtesse.

Sans doute. J’ai aimé quand j’ai voulu ; quand je ne voudrai plus aimer ce sera fini. — Mais qui chante là ?

Anarda.

C’est Fabio et Clara.

La Comtesse.

Voyons si leur chant dissipera ma mélancolie.

Anarda.

L’amour se plaît aux sons de la musique. Écoutez.

Voix du dehors.

Hélas ! il n’est pas facile
De haïr quand on aime,
Et quand on ne veut plus aimer
Il est malaisé de haïr.

Anarda.

Voilà une chanson qui n’est pas de votre avis.

La Comtesse.

Je la ferai mentir. Mais je me connais mieux que vous, et je sais qu’il sera en mon pouvoir de haïr, comme il est en mon pouvoir d’aimer.

Anarda.

Cela ne me semble pas au pouvoir des mortels.

  1. Le texte est beaucoup plus précis :

    Si Pasife quiso un toro,
    Semiramis un cavallo,
    Y otras los monstruos que callo, etc, etc.