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LE CHIEN DU JARDINIER.

Marcelle.

Eh bien, je me vengerai de tous deux à la fois. Si l’amour est le dieu de la jalousie, il est aussi le dieu de la vengeance.


Entrent LA COMTESSE et ANARDA.
La Comtesse.

Ce n’est pas votre faute ; n’en parlons plus.

Anarda.

L’indulgence avec laquelle vous m’excusez ajoute à mon repentir. — Voilà Marcelle, madame, qui cause avec Dorothée.

La Comtesse.

Je ne pouvais faire en ce moment une rencontre qui me fût plus désagréable. — Rentrez, mesdemoiselles.

Marcelle, bas, à Dorothée.

Allons-nous-en, Dorothée. — Eh bien, que vous disais-je ? Ou elle me soupçonne, ou elle est jalouse de moi.

Marcelle et Dorothée sortent.
Anarda.

Puis-je vous parler ?

La Comtesse.

Je vous écoute.

Anarda.

Les deux seigneurs qui viennent de sortir sont épris pour vous du plus vif amour, et vous, madame, vous ne leur montrez qu’un dédain qui passe tout ce qu’on lit dans les histoires. Prenez garde ; il arrive souvent qu’un dédain semblable…

La Comtesse.

Pas de sermon, je vous prie.

Anarda.

Mais enfin, avec qui votre seigneurie pense-t-elle se marier ? Le marquis Ricardo par sa libéralité et sa bonne mine n’égale-t-il pas, à tout le moins, les premiers seigneurs de la cour ? et la femme la plus distinguée ne pourrait-elle pas être fière de donner son cœur et sa main à votre cousin Frédéric ? Pourquoi les avoir congédiés avec tant de mépris ?

La Comtesse.

Parce que l’un est un étourdi, l’autre un sot, et vous qui ne savez pas m’entendre, plus sotte et plus étourdie que tous les deux. Je ne les aime point parce que j’aime ; et j’aime parce que je n’ai pas d’espoir.

Anarda.

Ô ciel ! qu’entends-je ? Vous, de l’amour ?

La Comtesse.

Ne suis-je pas femme ?

Anarda.

Oui, mais aussi froide que la glace qui ne cède pas même aux rayons du soleil.