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JOURNÉE I, SCÈNE II.

Tristan.

Lui, madame, de l’amour ? C’est un glaçon.

La Comtesse.

Cependant un jeune homme de sa tournure, aimable, spirituel et maître de sa personne, doit avoir quelque honnête inclination ?

Tristan.

Que vous dirai-je ? il m’a chargé de son cheval, je ne me mêle pas de ses galanteries ni de ses billets doux. Tout le jour il est employé à votre service ; voilà, je crois, sa seule occupation.

La Comtesse.

Ne sort-il jamais la nuit ?

Tristan.

Je n’en sais rien, je ne l’accompagne pas, ma santé s’y oppose.

La Comtesse.

Qu’as tu-donc ?

Tristan.

Je vous répondrai comme les mal mariées lorsqu’on leur demande d’où leur viennent les meurtrissures qu’elles ont au visage, et qu’elles ont reçues d’un jaloux brutal : je suis tombé dans un escalier.

La Comtesse.

Tu as roulé ?

Tristan.

J’ai dégringolé du haut en bas ; mes côtes ont compté toutes les marches.

La Comtesse.

C’est ta faute, Tristan ; pourquoi éteignais-tu la lampe avec ton chapeau ?

Tristan, à part.

Vive Dieu ! je suis perdu, elle sait tout.

La Comtesse.

Tu ne me réponds pas ?

Tristan.

Je cherchais à me rappeler l’époque. — Eh ! tenez, c’était hier au soir… Il y avait des chauves-souris qui voltigeaient, moi je leur donnai la chasse avec mon chapeau, et l’une d’elles s’étant approchée de la lampe, moi, avec mon chapeau, j’ai donné en plein ; et les deux pieds me manquant à la fois, j’ai descendu en roulant toutes les marches.

La Comtesse.

Tout cela est fort bien imaginé. Mais à ce propos je t’apprendrai que j’ai vu dans un livre de secrets qu’on recommandait le sang de chauve-souris pour toute sorte de remèdes, et tu aurais dû faire saigner celle-là[1].

  1. Littéralement : « J’ai lu dans un livre de secrets que le sang de chauve-souris est bon pour faire tomber les cheveux. Il faudra que je fasse tirer le sang de celle-là, pour enlever les cheveux à l’occasion. »