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JOURNÉE I, SCÈNE II.

La Comtesse.

C’est pour cela sans doute que vous évitez de vous laisser voir, enveloppé jusqu’aux yeux dans votre manteau.

Théodore.

Moi, madame, quand donc ? en quel lieu ?

La Comtesse.

C’est quelqu’un qui étant sorti par hasard cette nuit, vous a rencontré, également par hasard, ainsi équipé.

Théodore.

Selon notre habitude, nous plaisantions avec Fabio.

La Comtesse.

Lisez, lisez.

Théodore.

Il y a peut-être, madame, des gens dont j’excite l’envie.

La Comtesse.

Ou la jalousie. Lisez, lisez.

Théodore.

Je vais admirer. (Lisant.) « Aimer parce qu’on voit aimer, c’est de l’envie, et ressentir de la jalousie avant que d’aimer est une ruse merveilleuse de l’amour, à laquelle on n’a pas cru jusqu’à présent. De la jalousie est né mon amour ; je souffre de ce qu’étant la plus belle, je n’ai pas pu obtenir cette tendresse que j’envie à une autre plus heureuse. J’ai de la défiance sans motif et de la jalousie sans amour, bien que ma souffrance me dise que je dois aimer puisque je désire qu’on m’aime. Je ne cède ni ne me défends, je veux me taire et être comprise ; et m’entende qui pourra, car je ne m’entends moi-même que trop bien. »

La Comtesse.

Eh bien ? qu’en dites-vous ?

Théodore.

Puisque telle a été la pensée de l’écrivain, il était impossible qu’elle fût mieux exprimée ; mais je ne conçois pas, je l’avoue, comment l’amour peut naître de la jalousie, car c’est toujours la jalousie qui, au contraire, naît de l’amour.

La Comtesse.

Cette dame, à ce que je soupçonne, voyait ce jeune homme avec plaisir, mais sans attachement ; et le voyant occupé d’une autre personne, la jalousie a réveillé l’amour dans son cœur et excité sa tendresse. Cela ne peut-il pas être ainsi ?

Théodore.

Sans doute, madame ; mais cette jalousie a eu elle-même un motif, et ce motif ç’a été probablement l’amour.

La Comtesse.

Je l’ignore. Tout ce que m’a dit cette dame, c’est qu’elle n’avait jamais éprouvé pour ce cavalier d’autre sentiment qu’une pure bienveillance, et qu’aussitôt qu’elle l’a vu épris d’une autre, mille