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La Duchesse.

Lorsque j’ai été pour vous embrasser, l’idée m’est venue que peut-être ce n’était pas vous.

Le Comte.

Quel motif avez-vous pour en douter ?

La Duchesse.

Mais… Votre visage n’est pas le sien.

Le Comte.

Bien que méconnaissable sous ce masque de farine, je suis Prospero. Ne reconnaissez-vous donc plus ma voix ?

La Duchesse.

Ah ! mon cher comte !

Le Comte.

Celia !

La Duchesse.

Qu’avez-vous donc sur votre sein que je ne sens pas battre votre cœur ?

Le Comte.

Vous le sentiriez palpiter avec force, si, par précaution, je ne l’avais recouvert d’une cuirasse.

La Duchesse.

Vous avez bien fait, mon bien-aimé. — Mais alors, dites-moi, quel est celui qui est en prison ?

Le Comte.

Ce sera quelque ruse inventée par l’infant pour vous affliger.

La Duchesse.

En quel endroit vous tenez-vous ?

Le Comte.

Je me tiens, comme un autre Léandre, en un lieu d’où je puis contempler, quoique de loin, la maison habitée par celle que j’aime. Ce lieu est un asile doublement sacré pour moi ; il me protège, et il vous appartient. Je demeure caché dans votre moulin ; votre fermier m’a pris à son service.

La Duchesse.

Quoi donc ! l’amour vous a décidé à cet abaissement ?

Le Comte.

J’aurais fait pour lui plus encore.

La Duchesse.

Ô mon Dieu ! que vous devez souffrir dans ces vils et pénibles travaux !

Le Comte.

Mon ennemi est puissant, mais l’amour l’a vaincu. — J’étais là-bas depuis un mois, qui m’avait duré trente siècles, lorsque mon nouveau maître m’a envoyé vers vous. Avec quelle impatience, avec quelles douleurs, avec quels ennuis et quels tourmens j’avais attendu cette occasion ! Mais enfin je vous vois, je vous parle, je vous presse