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La Duchesse.

Mon Dieu ! oui.

Le Comte.

Où étiez-vous ?

La Duchesse.

Là, à ma fenêtre.

Le Comte.

Au nom de l’attachement que je lui porte, ne me trompez pas, de grâce.

La Duchesse.

Pourquoi vous tromperais-je ?… Je l’ai vu tout à l’heure, vous dis-je, emmené par une troupe de gens armés.

Le Comte.

Ou tout le monde s’abuse, ou j’ai moi-même perdu l’esprit.

La Duchesse.

Je l’ai vu de mes yeux, hélas ! de ces mêmes yeux qui l’ont pleuré et qui le pleurent.

Le Comte.

Ne les fatiguez pas en vain sur un motif aussi frivole, ces yeux qui sont les plus beaux que l’on puisse admirer ici-bas. Le comte est un brave cavalier, et tel qu’il saura briser ses fers, si par hasard il est prisonnier.

La Duchesse.

Hélas ! je ne l’espère pas. — Et si je ne me suis pas élancée à la poursuite de ces lâches ravisseurs, comme la lionne s’élance sur le chasseur qui lui enlève son nouveau-né, c’est que le roi m’a promis, quelque chose qui arrive, de me rendre le comte, le noble comte Prospero.

Le Comte.

Il vous doit une grande reconnaissance pour l’amour que vous lui portez. — Certes, vous n’avez pas tort de vous entretenir de lui avec moi ; mais c’est de votre part une preuve magnanime d’affection et de tendresse que de condescendre à parler de lui avec un homme d’une condition aussi humble que la mienne, et qui se présente à vous sous ces vêtemens déchirés et souillés.

La Duchesse.

L’homme à qui je parle du comte est pour moi de race royale, et je ne considère pas ses vêtemens.

Le Comte.

Il faut que le comte soit votre époux, puisque vous parlez de lui avec tant de plaisir.

La Duchesse.

Le comte est mon époux et le doit être, quoiqu’un envieux s’y oppose.

Le Comte.

Quel est cet envieux qui met obstacle à votre union ?