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les tiges des épis sous ses pas. — Que fait donc là ce laboureur couché sur la fougère, la têtee appuyée dans sa main ?… (Appelant.) Holà ! seigneur, holà ! (À part.) Il ne m’entend pas… il ne dort pas cependant… Comme il paraît silencieux, et qu’il est pâle !… Sans doute il sera venu au moulin de quelque village des alentours, et je ne l’aurai pas vu entrer… Je m’en vais le réveiller d’une bonne manière.

Laura jette au visage du comte une poignée de farine et de son.
Le Comte.

Au secours, saints du ciel ! au secours ! Je suis aveugle et j’étouffe.

Laura.

Réveillez vous, bon laboureur, et ne vous inquiétez pas. Réveillez-vous, — et levez-vous, — et regardez-moi.

Le Comte, à part.

C’est donc vous qui m’avez joué ce tour ?

Laura.

Secouez la farine qui vous couvre, et vous verrez qui a badiné avec vous.

Le Comte.

Si c’est cette main qui m’a jeté cela, je suis loin de m’en plaindre ; je m’en félicite.

Laura.

Pourquoi donc disiez vous : « Je suis aveugle, j’étouffe ?… » Il n’y a que les pourceaux qui s’étouffent dans le son.

Le Comte.

Pour moi, c’était le plaisir qui m’aveuglait et m’étouffait ; car ni mes yeux ne peuvent supporter l’éclat de votre aspect, ni mon sein ne peut contenir la joie qu’il me donne.

Laura.

Eh bien ! secouez donc votre farine.

Le Comte.

Non pas ! il convient que je reste taché de votre jolie main.

Laura, à part.

Comme il parle bien ! (Haut.) Allons, flatteur, secouez la farine qui vous a blanchi.

Le Comte.

Non, certes, ma belle ; de cette façon je serai mieux déguisé.

Laura, à part.

Ma belle ! (Haut.) De qui donc est-ce que vous vous cachez ?

Le Comte.

De la mort qui me poursuit. Mais à présent, par votre présence, vous m’avez rendu la vie, vous m’avez sauvé.

Laura.

Mon Dieu ! non. Je vous ai seulement marqué comme un meunier.