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LE CHEMIN DE BUENOS-AIRES

— Tu es mariée avec lui ?

— Tu parles comme si tu en étais !… Je ne suis plus avec lui, il m’a échangée.

— Contre quoi ?

— Contre une autre.

C’était du nouveau. Je m’assis plus confortablement… Ce n’était pas le moment de quitter la table.

— J’ai fait le voyage avec lui…

— Que croyais-tu venir faire à Buenos-Aires ?

Elle ouvrit grands ses yeux pour que je pusse y lire sa réponse.

— En arrivant il m’a loué une chambre, dans une famille. J’avais du chagrin, les premiers jours, tu ne peux savoir, mais du chagrin sans pleurer, du chagrin lourd…

— Du brouillard sur le cœur.

— Sur tout le cœur. Si j’avais pu repartir, je serais repartie. Je me sentais trop loin. Ce n’était plus la nourriture qui me manquait, c’était l’appétit. Il venait me chercher pour me promener. Il me conduisait au jardin d’acclimatation, au cinéma, où c’est écrit en espagnol, mais il me traduisait. Il me semblait que j’avais dormi depuis deux mois et que j’allais me réveiller. Quand je pensais à ma misère récente je ne la voyais plus aussi noire qu’elle avait été. Je me disais que, rester sans manger,