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couchette et je restai seul debout sur le champ de bataille.

J’étais très fier, et John Barleycorn aussi. Je pouvais supporter tout ce que j’avais bu ; j’étais un homme. J’en avais enivré deux, verre pour verre, jusqu’à complet abrutissement. Et je tenais toujours sur mes jambes, bien droit, en gagnant le pont pour donner de l’air à mes poumons en feu.

C’est au cours de cette orgie sur l’Idler que me fut révélée l’endurance de mon estomac et de ma tête — petite découverte qui devait être une source d’orgueil pour les années à venir, mais que j’en suis venu à considérer, en fin de compte, comme une calamité. L’homme heureux est celui qui est incapable d’avaler deux verres sans être ivre ; le pauvre bougre à plaindre est celui qui peut en absorber beaucoup avant de trahir les moindres symptômes d’ébriété, et qui doit en boire des quantités pour recevoir le « coup de fouet ».

Le soleil disparaissait quand je mis le pied sur le pont de l’Idler. Il ne manquait pas de couchettes en bas, je n’étais pas obligé de m’en retourner chez moi. Mais je voulais me prouver à quel point j’étais un homme.

Mon bateau était amarré à l’arrière. Le jusant s’écoulait dans le chenal à la rencontre d’une brise de mer de quarante milles à l’heure. Je pouvais voir d’énormes moutons, et distinguer la vitesse et la succion du courant sur le front et dans les intervalles des grosses vagues.

Je hissai la voile, je démarrai et pris ma place au gouvernail, l’écoute en main, puis je manœuvrai pour traverser le chenal. L’esquif se souleva