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n’y pas toucher. L’expérience du passé avait prouvé, surtout avec les femmes des Indiens, que viande et châtiment se mêlaient souvent, d’une façon déplorable.

Le dieu finit par jeter la viande dans la neige, aux pieds de Croc-Blanc, qui la flaira avec attention, sans la regarder. Les yeux étaient toujours pour le dieu. Rien n’arriva encore. Le dieu lui offrit un second morceau. Il refusa à nouveau de le prendre et, de nouveau, le dieu le lui jeta. Ceci fut répété un grand nombre de fois. Mais un moment arriva où le dieu refusa de jeter le morceau. Il le garda dans sa main et, fermement, le lui présenta.

La viande était bonne, et Croc-Blanc avait faim. Pas à pas, avec d’infinies précautions, il s’approcha. Puis il se décida. Sans quitter le dieu du regard, les oreilles couchées, le poil involontairement dressé en crête sur son cou, un sourd grondement roulant dans son gosier, afin d’avertir qu’il se tenait sur ses gardes et ne prétendait pas être joué, il allongea la tête et prit le morceau, le mangea. Rien n’arriva. Morceau par morceau, il mangea toute la viande et, toujours, rien n’arrivait. Le châtiment était encore différé.

Croc-Blanc lécha ses babines et attendit. Le dieu s’avança et parla à nouveau, avec bonté. Puis il étendit la main. La voix inspirait la confiance, mais la main inspirait la crainte. Croc-Blanc se sentait tiraillé violemment par deux impulsions opposées. Il se décida pour un compromis, grondant et couchant ses oreilles, mais ne mordant pas. La main continua à descendre, jusqu’à tou-