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auprès d’eux, Lip-Lip, fonçant sur lui, le roulait et le faisait fuir, terrifié, ou, s’il voulait résister, engageait la bataille jusqu’à sa mise en déroute.

Croc-Blanc fut ainsi sevré de beaucoup des joies de son enfance, ce qui le rendit plus vieux que son âge. Il se replia sur lui-même et développa son esprit. Il devint rusé et, dans ses longs moments de far-niente, médita sur les meilleurs moyens de duper et frauder. Empêché de prendre, à la distribution quotidienne, la part qui lui revenait de viande et de poisson, il se transforma en habile voleur. Contraint de s’approvisionner lui-même, il s’en acquittait si bien qu’il devint pour les femmes des Indiens une calamité. Il apprit à ramper dans le camp, comme un serpent, à se montrer avisé, à connaître en toute occasion la meilleure façon de se conduire, à s’informer, par la vue ou l’ouïe, de tout ce qui pouvait l’intéresser, afin de n’être point pris ensuite au dépourvu, et aussi à recourir à mille artifices pour éviter son implacable persécuteur.

Ce fut au plus fort de cette persécution qu’il joua son premier grand jeu et goûta, grâce aux ressources de son esprit, aux joies savoureuses de la revanche. Comme Kiche, quand elle était avec les loups, avait leurré les chiens, pour les attirer hors du campement des hommes et les envoyer à la mort, ainsi le louveteau, par une manœuvre à peu près semblable, réussit à attirer Lip-Lip sous la mâchoire vengeresse de Kiche. Battant en retraite, tout en combattant, Croc-Blanc entraîna son ennemi à sa suite, ici, puis là, parmi les différentes tentes du camp. C’était un excellent coureur,