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donnerait, à un camarade dans l’embarras, jusqu’à sa dernière chemise, jusqu’à sa dernière allumette. N’empêche qu’en trois semaines de temps il a draîné à fond le lac Surprise et en a tiré de l’or pour quatre-vingt-dix mille dollars. Est-ce vrai ?

La femme rougit de plaisir et acquiesça fièrement d’un mouvement de tête. Elle semblait dévorer chaque parole de Lon, qui conclut, sans sourciller :

— Je comptais bien, ce soir, le trouver ici. Je suis fâché qu’il ne soit pas là, fâché vraiment !

Lon servit le souper sur un des bouts de la table de sapin et nous commençâmes à manger.

Des hurlements de chiens retentirent et la femme courut vers la porte, qu’elle entrebâilla légèrement, pour écouter.

À voix basse, je demandai à Lon :

— Où est-il, ce Dave ?

— Il est mort. En Enfer, peut-être… Je n’en sais fichtre rien ! Mais silence !

— Mort ? Tu viens de déclarer, il n’y a pas cinq minutes, que tu comptais le trouver ici.

Plus bas encore, il répliqua :

— Ferme ça !

La femme avait tiré la porte et s’en revenait vers nous. Moi, j’étais estomaqué que ce Lon, qui recevait de moi un salaire mensuel de deux cent cinquante dollars, plus la nourriture, osât me parler sur ce ton.

*

Nous nous couchâmes de bonne heure, Lon et moi, car la journée du lendemain devait être longue et dure.

Comme Lon se glissait près de moi, sous les couvertures, je risquai une question :

— Cette femme est folle, n’est-ce pas ?

— Folle à lier !