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trahissant sa propre fatigue, me demanderait la permission de s’arrêter et de prendre une heure de repos. Mais je préférais lui laisser cette initiative et je ne voulais point paraître moins endurant que lui.

Lon Mac Fane était cependant mon serviteur. Je l’avais engagé, à un prix non médiocre, pour conduire mes chiens et m’obéir en tout. Si j’avais déclaré, le premier, que j’étais las, il n’aurait rien eu à y redire. Mais je ne voulais pas. Moi aussi, j’étais sans doute de méchante humeur. Il ne soufflait mot et je me taisais. En sorte que nous aurions pu continuer à cheminer ainsi toute la nuit.

La cabane, tout à coup, apparut. Depuis huit jours que nous suivions notre piste, nous n’avions rencontré âme qui vive. Il y avait grande chance, dans mon idée, qu’il en fût de même la semaine suivante. Et vlan ! Voilà que devant nos yeux se dressait cette cabane, qui laissait apparaître à sa fenêtre une lueur confuse et déroulait vers le ciel, au-dessus de sa cheminée, une spirale de fumée.

Je me préparais à gourmander sévèrement Lon Mac Fane, et je commençai :

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

Il me coupa la parole.

— Oui, c’est bien là le lac Surprise. La petite rivière qui l’alimente pendant l’été reçoit ses eaux, un demi-mille plus loin, du Telee[1]. Ce n’est pas un lac, à proprement parler. C’est une mare.

Je répliquai :

— Oui, oui, je sais… Ce n’est pas le lac qui m’intéresse. C’est la cabane. Qui l’habite ?

— Une femme.

L’instant d’après, Lon Mac Fane frappait à la porte, et ce fut effectivement une voix de femme qui lui répondit :

— Entrez !

  1. Affluent du Yukon.