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parût plus intelligent. On eût juré, rien qu’en le regardant, qu’il était capable de faire, à lui seul, la besogne de trois chiens de son poids et de sa taille.

Peut-être en était-il réellement capable. Mais ce n’est qu’une supposition gratuite et je n’en ai jamais eu la preuve. Son intelligence et sa volonté ne s’exerçaient pas dans ce sens.

Il s’entendait beaucoup plus à voler et à piller. Oh ! là, il excellait. Il avait un instinct tout à fait surprenant, pour deviner quand il y avait à faire quelque travail. Et il se défilait en hâte. Il avait, dans ces occasions, le génie de se perdre et de demeurer perdu. Mais, pour le travail, toute son intelligence tombait soudain. Il devenait un être stupide, plus mou que du beurre, qui tremblait sur ses pattes, à vous faire saigner le cœur.

Cette stupidité apparente était, je l’ai toujours cru, un raffinement de son esprit. À l’instar de certains hommes (j’en connais ainsi un certain nombre), il estimait le travail une chose beaucoup trop vulgaire pour qu’il daignât s’y astreindre. Après avoir pesé le pour et le contre, il conclut, j’imagine, qu’une raclée de temps à autre, et pas de travail, valait infiniment mieux que n’être pas battu et travailler toujours.

Son intelligence était fort capable de ce calcul. Souvent je me suis assis devant ce chien et j’ai mis mes yeux dans ses yeux. Il arrivait un moment où des frissons m’en couraient tout le long du dos, où j’en tremblais jusqu’à la moelle épinière. Je ne puis dire exactement ce qu’était cette intelligence. J’en avais le sentiment, et voilà tout.

Lorsque je tentais de lire au fond de l’âme de ce chien, il me semblait que j’avais devant moi une âme humaine. J’en étais effrayé. Et je songeais à tout ce que l’on raconte des réincarnations communes de la bête et de l’homme. Quelque chose d’immense flottait dans les yeux de cette brute. Un message y était