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Puisqu’il était condamné à geler, et que c’était irrévocable, il pouvait aussi bien accepter décemment l’épreuve. Une grande paix résulta pour lui de cette résolution, cependant qu’il sentait une somnolence le gagner et sa tête vaciller.

C’est, après tout, songea-t-il, une sensation délicieuse de s’endormir dans la mort. C’est comme si l’on avait absorbé un anesthésique. La mort par congélation n’est pas aussi affreuse qu’on le disait. Il y avait d’autres façons bien pires, de mourir.

Une hallucination s’empara de lui. Il voyait les camarades chercher, le lendemain, son cadavre. Il explorait la piste en leur compagnie, et se cherchait lui-même. Avec eux il suivait le lit glacé de la rivière et, soudain, à un coude de la vallée, il trouvait son corps étendu sur la neige. Il songeait alors qu’il avait dû faire grand froid. Quand il serait de retour aux États-Unis, il pourrait raconter aux gens ce qu’était un vrai froid.

Puis cette vision s’effaça, remplacée par une autre. Cette fois, il se trouvait avec le vieux bonhomme qui avait sa cabane sur le Sulphur Creek. Il le voyait nettement, au chaud, et confortablement installé, en train de fumer une pipe.

— Tu avais raison, lui murmurait-il… Tu avais raison, vieux père…

L’homme s’assoupit alors, en un sommeil qui lui parut être le meilleur qu’il eût jamais connu.

Assis en face de lui, le chien attendait. Le jour bref se mourait en un long et grisâtre crépuscule. Aucun indice ne marquait que le maître s’apprêtât à construire un feu. Il s’en étonnait dans son cerveau de chien. Dans sa fruste mémoire, rien n’évoquait le souvenir d’un homme assis, sans feu, dans la neige, par semblable température.

Avec la fin du crépuscule et la nuit qui montait au ciel, la froidure augmenta encore. Le chien se mit à