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de sa cuisse. Après vingt essais infructueux, le soufre se décida à s’allumer. Tandis qu’elle s’enflammait, il l’approcha, la tenant toujours dans ses dents, de l’écorce de bouleau. Mais le soufre qui brûlait lui monta aux narines et, gagnant les poumons, le fit tousser spasmodiquement. Il desserra les dents. L’allumette tomba dans la neige et s’y éteignit.

Le vieux type du Sulphur Creek avait décidément raison, songea l’homme, cependant qu’il se sentait envahi par un désespoir qu’il maîtrisait encore. Au-delà de cinquante degrés sous zéro, on ne doit point voyager seul.

Il réitéra pourtant, avec les mêmes gestes, ses battements de mains et de bras. Mais, cette fois, aucune sensation de vie ne reparut.

Brusquement, enlevant ses mitaines avec ses dents, l’homme découvrit ses deux mains. Entre elles deux il saisit le paquet d’allumettes. Les muscles de ses bras, qui n’étaient pas encore gelés, lui permirent ce double mouvement. Puis, serrant fortement les deux mains, il frotta sur sa cuisse tout le paquet. Une flamme unique en jaillit. Les soixante-dix allumettes s’allumaient d’un seul coup ! Il n’y avait point de vent pour les éteindre et, tenant sa tête de côté afin d’éviter la suffocation du soufre enflammé, l’homme approcha ce feu ardent de l’écorce de bouleau. Il lui sembla, à ce moment, percevoir aux paumes une étrange sensation. C’était sa chair qui brûlait.

Elle brûlait assez profondément sous l’épiderme pour qu’il en sentît la douleur. La douleur s’intensifia. Et l’homme, cependant, l’endurait, tenant le petit faisceau de flammes au-dessus de l’écorce de bouleau posée sur la neige. Mais il faisait cela maladroitement et le bouleau continuait à refuser de s’allumer, tandis que les mains de l’homme continuaient à brûler.

Enfin, n’y pouvant plus tenir, il lâcha tout. Les allumettes tombèrent, en grésillant, dans la neige.