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l’éternité et comme le fond de la souffrance. Une coquine de petite brise soufflait dans la baie et contrariait la marche du canot. Fred sentait la tête lui tourner et, au creux de l’estomac, une angoisse terrible. Allait-il se trouver mal ? Il ordonna à son compagnon de lui lancer à la figure de l’eau salée.

L’Athénien, juste au moment où Fred Churchill l’accosta, était en train de lever l’ancre. Churchill ramassa ses dernières forces pour crier, d’une voix rauque :

— Arrêtez ! Arrêtez ! J’apporte un message important ! Stoppez !

Et son menton retomba sur sa poitrine.

Cinq ou six hommes vinrent le chercher dans le canot. Il était complètement inerte et avait perdu connaissance. Quand on l’eut hissé à bord, il rouvrit les yeux, regarda autour de lui et se précipita sur le sac de Louis Bondell, auquel il s’accrocha frénétiquement, comme un noyé à une épave.

Tout le monde, sur le pont, fit cercle autour de lui. Il était à la fois un objet de curiosité et d’horreur. Des vêtements qu’il avait sur le corps, quand il quitta les rapides du Cheval Blanc, quelques haillons seulement restaient. Et lui-même n’était pas moins lamentable. Cinquante-cinq heures durant, il avait physiquement fourni tout ce dont il était capable. Il avait, au total, dormi six heures et il avait perdu vingt livres de son poids. Sa figure, ses mains, son corps entier, n’étaient qu’écorchures et meurtrissures, et il était aux trois quarts aveugle.

Il tenta de se remettre debout, sans y réussir. Écrasé sur le pont et toujours cramponné à son sac, il balbutia le motif de son raid, puis conclut :

— Et maintenant, mettez-moi au lit, je vous prie. Je mangerai quand j’aurai dormi.

Fred Churchill fut traité avec grand honneur. Le capitaine ordonna qu’il fût, y compris le sac de