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de songer, lui qui, pourtant, avait accompli déjà dans sa vie maint acte méritoire, maint notable exploit, qu’avoir repêché ce sac dans cette fosse dépassait en héroïsme tout ce dont il se faisait gloire.

Au-delà des Balances, le plus dur était terminé. La pente s’adoucissait et le chemin devenait plus aisé. Aisé est une façon de parler. Mais la piste était à peu près impraticable et certainement Fred Churchill eut-il regagné beaucoup du temps perdu s’il avait vu clair tout d’abord, s’il n’avait pas ensuite été chargé du malheureux sac. Le sac de Bondell était le rien dont le poids lui faisait franchir les limites possibles de la fatigue. Il s’accrochait aux branches, comme pour le tirer en arrière. Il parachevait l’épuisement. Et Fred Churchill ne cessait de se répéter que, s’il manquait l’Athénien, ce serait de la faute du sac.

Tandis qu’il marchait, le sac de Louis Bondell et le paquebot se confondaient dans son esprit en un même cauchemar, s’identifiaient l’un à l’autre en une commune et surnaturelle mission dont il avait charge, et pour laquelle il trimait depuis des siècles.

Ainsi Fred Churchill arriva-t-il, dans un rêve, au Campement des Moutons. Il entra, tout trébuchant, dans une auberge, et, débouclant les courroies, se débarrassa les épaules de ce sac de malheur.

Le sac, lui glissant entre les mains, tomba lourdement sur le plancher, avec un bruit sourd, qui fit dresser l’oreille à deux hommes qui sortaient de l’auberge à ce moment même. Fred Churchill absorba un verre de whisky, s’assit sur une chaise, les pieds appuyés sur le sac, et laissa tomber sa tête sur ses genoux, après avoir prié le tenancier du lieu de le réveiller au bout de dix minutes.

L’homme n’oublia pas la recommandation. Mais