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envahie d’une infecte puanteur, car, de chaque côté, gisaient tous les cadavres de chevaux tombés et crevés dans la course vers l’or. Mais Churchill n’y prêtait guère attention. Une seule pensée l’obsédait : ne point dormir. Il réussit à se tenir éveillé et, en passant près du lac Profond, il se décida à confier à Burns le sac de Louis Bondell. À la faible lueur des étoiles, il ne cessait de surveiller Jack Burns, et ne le quittait pas des yeux. Il importait, avant tout, que rien n’arrivât à ce sac.

Au lac du Cratère, on se sépara et Fred Churchill, chargeant le sac sur son dos, continua seul à gravir les pentes supérieures du Chilcoot. Le sentier se faisait de plus en plus escarpé et Churchill, entre les deux précipices à pic qui bordaient sa route, commençait réellement à se sentir très fatigué.

Il se traînait ; sa démarche ressemblait à l’allure du crabe. Ses membres lui pesaient d’un poids très lourd ; l’effort de lever le pied lui paraissait énorme.

Il croyait, dans une sorte d’hallucination, être chaussé de plomb, comme un scaphandrier. À grand-peine pouvait-il résister à l’envie qui lui prenait, toute minute, de palper ses semelles pour vérifier la réalité de sa supposition.

Quant au sac de Bondell, il lui semblait incompréhensible qu’un sac aussi peu volumineux pût peser autant. Ces quarante livres l’écrasaient littéralement sous leur poids. Il reporta son esprit en arrière et se remémora, avec étonnement, qu’il avait l’an passé, en arrivant au pays de l’or, franchi allègrement ce même Chilcoot, avec un bagage de deux cent cinquante livres sur le dos. Décidément non, ce n’était pas quarante livres, mais cinquante au moins que devait peser le sac de Louis Bondell.

Au-delà du lac du Cratère, la piste s’élevait, d’abord assez bien tracée, dans une forêt de sapins, puis franchissait un petit glacier. Il n’y avait plus ensuite